La grande débâcle montréalaise

Jacques Martin a payé les pots cassés par son DG et ses joueurs.

« Il est plus facile de virer un entraîneur que toute une équipe. » Ce cliché éculé, Pierre Gauthier a eu l’élégance de ne pas l’utiliser lorsqu’il a annoncé le congédiement de Jacques Martin, le 17 décembre. Pourtant, on gagerait bien que le DG du Canadien aurait préféré faire le ménage dans un groupe de joueur qui joue très en deçà de son potentiel depuis le début de saison, plutôt que de se défaire de Jacques Martin. A l’image des vétérans Brian Gionta, Mike Cammalleri ou Hal Gill, ou des jeunes Weber, ou Subban. Mais devant les résultats décevants de son équipe, et malgré l’impact évident des blessures sur le potentiel du groupe montréalais, Gauthier a sacrifié Martin. « Notre équipe ne joue pas à un niveau acceptable pour le moment. On est tous responsables. C’est sûr que le facteur blessure entre en ligne de compte, mais malgré tout, considérant l’approche de l’équipe en prévision des matchs et son rendement difficile en troisième période, il était préférable d’effectuer un changement. » La solution de facilité, qui ne porte d’ailleurs pas toujours ses fruits. Depuis le début de la saison, six entraîneurs ont été remplacés. Un seul nouveau venu (Ken Hitchcok, avec les Blues de Saint Louis) a eu un véritable impact positif. Mais passons.

Martin: un bilan honorable
L’ancien DG des Panthers, a donc pris la porte. Son bilan comptable avec le Canadien reste pourtant très honnête compte tenu du talent des équipes qu’il aura eu sous sa coupe (96 victoire, 82 défaites en saison régulière). Surtout, son équipe a réalisé le meilleur parcours du Canadien en playoffs depuis 1993 voici deux saisons, éliminant au passage les Capitals d’Ovechkin, tenant du President’s Trophy, et les Penguins de Crosby, alors tenants de la Coupe Stanley. L’an dernier, Montréal est l’équipe qui a poussé les Bruins, futurs champions, le plus loin dans leurs retranchements, cédant finalement en prolongation au septième match. Tacticien accompli, Martin a donné à Montréal une identité de jeu très structurée, défensive, qui a permis de mettre en lumière le talent de Jaroslav Halak, puis celui de Carey Price. Un style de jeu qui a beaucoup agacé les partisans, mais qui s’est révélé efficace pendant deux ans. Pas au point de transformer le Canadien en un sérieux contender, mais pour cela, il faudrait sans doute d’autres joueurs. On a également reproché à Martin son manque de patience vis-à-vis des joueurs, et son manque d’émotion sur le banc et au moment de répondre aux questions des journalistes. Un entraîneur est une personnalité publique, surtout celui du Canadien de Montréal. Et la personnalité de Martin ne passait pas.

La controverse Cunneyworth
Pour le remplacer, Pierre Gauthier a choisi de promouvoir le désormais ex-adjoint de Martin, Randy Cunneyworth, à titre d’entraîneur par intérim. Un entraîneur inexpérimenté au niveau NHL, même s’il a au compteur plus de 600 matchs en AHL. Une décision qui a provoqué l’ire de bon nombre de francophones, puisque Cunneyworth est strictement anglophone. Une hérésie au Québec dans une institution comme le Canadien, qui n’a pas connu telle situation depuis Al Mc Neill, en 1971. A l’époque, McNeill avait d’ailleurs dû partir après une altercation avec l’emblématique Henri Richard, emblème francophone s’il en est. Les réactions se sont donc multipliées depuis le congédiement de Martin. Parfois mesurées, parfois excessives, presque toujours indignées. Trois quarts des partisans du Canadien sont francophones, et l’équipe demeure un des symboles les plus forts de l’identité québécoise. Geoff Molson, le président du Canadien, a donc rassuré ses fans en assurant que le prochain coach à plein temps de l’équipe serait francophone. Une décision sage vis à vis des partisans. L’importance de la question de la langue au Québec est parfois difficile à mesurer pour nous Français, et il serait maladroit de porter un quelconque jugement. On se bornera simplement à observer qu’en se restreignant aux candidats francophones, le Canadien limite de fait le pool d’entraîneurs à sa disposition. Que Dick Irvin, l’un des plus grands coaches de l’histoire du CH, était anglophone. Et que Randy Cunneyworth, lui, n’y est pas pour grand-chose, et se retrouve pourtant condamné avant même d’avoir dirigé l’équipe pendant une semaine.

Les playoffs, un mirage
Mais avant de s’inquiéter de l’identité du prochain coach du Canadien, il reste une saison à terminer. Une saison bien mal embarquée, et qui semble prendre une direction plus catastrophique encore depuis le changement d’entraîneur. Montréal a ainsi concédé quatre revers supplémentaires, dont deux au terme d’un effort collectif indigne (1-5 à Chicago, puis 0-4 à Winnipeg). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le choc psychologique tant vanté n’a pas eu d’effet. Moins structuré que sous Martin, le Canadien vole en éclat dès qu’il rencontre un peu de difficulté, à l’image du match de Chicago, où les Montréalais disputaient un bon road game, avant d’encaisser deux buts coup sur coup et de lâcher complètement en fin de match. Dans ces conditions, les playoffs ressemblent de plus en plus à un mirage. Montréal ne compte certes que quatre points de retard sur la huitième place, mais le Canadien a joué plusieurs matchs de plus que ses rivaux. Depuis le lock-out, il faut en moyenne 92 points pour accéder aux séries dans la Conférence Est. Sur son rythme actuel, le Canadien n’en obtiendrait que 75. Pour arriver en séries, Montréal doit gagner entre 25 et 30 matchs sur les 46 restants. Plus qu’hypothétique.

Préparer la saison prochaine?
Dans ces conditions, le Canadien ferait sans doute mieux de préparer l’avenir. Montréal est une ville où il est difficile de perdre, mais une fin de saison dans la lignée de ce que le Canadien a déjà produit suffira vraisemblablement à reléguer l’équipe dans les bas-fonds du classement. Montréal est actuellement 25e de la ligue, mais avec 36 matchs joués, quand ses deux poursuivants immédiats, Tampa et les Islanders, n’en ont joué respectivement que 33 et 32. Si la tendance se poursuit, Montréal pourrait donc disposer d’un lottery pick, avec la possibilité de repêcher l’un des très grands talents offensifs de la prometteuse cuvée 2012 (Yakupov, Grigorenko, Galchenyuk, Forsberg), ou l’un des très solides défenseurs annoncés dans ce repêchage (Murray, Dumba, Ebbert…). Reste maintenant à prendre les bonnes décisions. Si les playoffs sont hors d’atteinte, ou très hypothétiques au moment de la date limite des échanges, Pierre Gauthier devra échanger quelques vétérans en retour de choix de repêchage, afin de renflouer la banque d’espoirs du Canadien. Car l’organisation, même si elle vit aujourd’hui des moments difficiles, dispose d’un noyau de joueurs intéressants et jeunes déjà avec le grand club (Price, Subban Pacioretty, Eller, Emelin, Desharnais, Gorges), et des quelques prospects talentueux (Gallagher, Beaulieu, Leblanc, Tinordi, Bournival…). En récupérant un ou plusieurs gros talents supplémentaires au prochain repêchage, Montréal aura de quoi voir l’avenir avec un peu plus de sérénité. Avec ou sans Pierre Gauthier, mais c’est une autre question.